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-- La fin de la trilogie -- |
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C’était notre troisième et dernier grand voyage avec Saltimbanque. Avec lui prennent
fin 16 ans et demi d’aventures minimalistes, de Guyane (4° Nord) à la Haute côte
Suédoise (63° Nord), de St-Pétersbourg (30° Est) aux Iles Vierges (64° Ouest). Voici
donc l’épilogue du retour de Norvège par la Route des Vikings, mais aussi la
conclusion d’un grand chapitre de notre vie...
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1825 milles parcourus pendant ce voyage
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Cela fait des années que nous naviguons le printemps et l’été par 60° de
latitude
nord, et nous avons toujours eu un temps certes parfois venteux et grisâtre,
mais en règle générale plutôt agréable. Et lorsque nous quittons Oslo ce 12 mai
2024 sous un grand soleil et 25°C au thermomètre - les mêmes conditions que lors
de notre départ en Baltique en mai 2018 - nous ne sommes pas vraiment surprises
par une météo qui nous semble normale pour la saison. Ce temps agréable nous
suit le long de la côte norvégienne, bien sûr il nous faut éviter quelques
petits coups de vent, et une grosse dépression stationnaire nous coincera aux
Shetland pendant 12 jours, mais nous nous attendions à de possibles longues
périodes de vent fort en planifiant notre route. La pluie qui s’établit
finalement n’est pas vraiment une surprise non plus, après tout nous avons déjà
vécu des étés à Bergen, avec un bon ciré ce n’est pas si désagréable que cela.
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Ce qu’on espérait de la météo… (sud Norvège, 14 mai)
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… et la réalité… (Highlands Ecossais, 18 juin)
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Mais nous ne sommes pas prêtes pour ce que nous réservent les prévisions météo
en ce premier matin à Lerwick (Shetland)… 6°C le matin, 9°C au plus chaud de
l’après-midi, la même température que la mer, ce ne sont pas du tout des
conditions confortables sur Saltimbanque, sans vrai chauffage et sans aucune
isolation thermique. Si gérer le froid reste possible en superposant les
diverses couches de laine et de plumes, le niveau d’humidité dans le bateau
devient vite un gros problème. Outre la condensation sur la coque alu
non-isolée, la taille du bateau joue aussi comme nous n’avons nulle part où
faire sécher nos cirés dégoulinants à part en plein milieu du carré. Ces
conditions dureront jusqu’en Irlande et nous vivrons environ 1 mois par 10 à 15
degrés à l’intérieur et 98 à 100% d’humidité. Gérable pour une fois, mais nous
ne voudrions pas vivre de manière plus permanente dans ces conditions.
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Au-delà de l’inconfort aux escales, ces conditions sont également très
fatigantes
en navigation. Le vent fort est toujours assez stressant et usant, mais cela
devient rapidement épuisant lorsqu’il fait 5 degrés apparents et qu’il pleut des
cordes glaciales. Nous ne faisons que des quarts de 2 heures, souvent à
l’intérieur, et la moindre navigation un peu longue nous met hors-service pour
plusieurs jours. Par contre, nous qui pensions être face aux vents dominants,
nous ne tirerons pratiquement jamais de bords ! La majorité du voyage se passe
au travers serré tribord amures comme le vent de Nord-Est en Norvège tourne vers
l’Ouest par le Nord lorsque nous arrivons en Ecosse. Parfait !
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Scène typique du voyage : à l’abri au ponton, le petit chauffage fait ce qu’il
peut et les affaires égouttent partout dans le carré, on attend que le temps se
calme…
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Enfin, nous avons retrouvé l’anticyclone!! (iles de Glenan, 29 juillet)
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Le temps s’est finalement amélioré à partir du Sud de l’Irlande, et les
dernières semaines de navigations en Cornouaille et en Bretagne furent
particulièrement agréables. Sans doute en avons-nous profité plus que la plupart
des navigateurs…
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L’Ecosse est définitivement un pays froid, venteux et humide, bien plus que la
Norvège du Sud, et il ne faut pas sous-estimer l’impact des conditions sur
l’inconfort du voyage. Nous comptons bien y retourner avec un bateau isolé, chauffé
et plus grand, et espérons avoir l’esprit davantage disponible pour profiter des
paysages grandioses !
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En naviguant le long des côtes ultra-découpées de Norvège, des Shetland et de
l’Ecosse, nous nous attendions à pouvoir (voire devoir) mouiller fréquemment.
Mais cela n’a pas toujours été possible.
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Sur la côte ouest norvégienne, les montagnes sont hautes, et par symétrie les
fonds sont profonds… Sans guindeau notre limite tourne autour de 10m, et plus
d’une fois nous préférons les petits quais de bois omniprésents dans les parages
à un mouillage difficile.
Aux Shetland, seule la première nuit aurait pu être assez calme pour nous
autoriser un mouillage, mais les deux baies que nous avions identifiées étaient
déjà balayées par de fortes rafales et nous avons choisi la sécurité du port de
Lerwick.
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Pilapollen, notre seul mouillage en Norvège de l’ouest
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Les coffres Ecossais sont très costauds, ce qui est appréciable dans les fortes
rafales qui tombent parfois des montagnes
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En Ecosse, nous devons également faire avec une météo très agitée qui nous
décourage souvent. Il faut dire que non-seulement les fonds doivent convenir à
notre ancre plate, mais en plus la faible puissance du moteur pourrait nous
mettre dans une situation scabreuse en cas de défaillance du mouillage dans un
vent trop fort. En revanche on trouve des coffres dans de nombreuses baies,
régulièrement contrôlés et équipés d’un énorme bout d’amarrage. Lors de notre
première nuit à l’un d’entre eux, notre loch abrité (loch Torridon) se
transforme soudainement en spot de surf dans des rafales catabatiques estimées à
plus de 35 nœuds. Cette expérience ne nous encourage pas à tenter de jeter
l’ancre dès que les conditions ne sont pas parfaites, ce qui n’arrive que très
(très !) rarement.
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En mer d’Irlande, la côte est droite, le courant violent, et il est pratiquement
impossible de mouiller.
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En Cornouaille et en Bretagne par contre, nous serons enfin systématiquement sur
ancre ou sur coffre. Notre dernière journée de voyage à l’archipel de Glénan est
tout simplement magique avec un mouillage sur le banc de sable de Guiriden, puis
une magnifique soirée au sud de l’ile Cigogne.
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Mouillage magique à Guiriden aux iles de Glenan
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C’est donc quand même un peu frustrées de petits mouillages sauvages que nous
rentrons de ce voyage. Là encore, nous espérons qu’avec notre futur bateau équipé
d’un guindeau, d’une ancre plus polyvalente, et d’un gros moteur, nous pourrons
mouiller en sécurité dans des conditions marginales. Les attentes du prochain voyage
se font de plus en plus exigeantes ;o)
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Mais sinon, c’était chouette quand même ??
Absolument ! Cette navigation, certes engagée, nous a emmenées parmi des paysages
plus incroyables les uns que les autres.
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Balade sur l’île de Sotra et vue sur le skjærgård d’accès à Bergen
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Au skjærgård norvégien du début, familier mais toujours superbe, succèdent les
premiers fjords, les premières hautes montagnes. Notre navigation de l’ile de
Stord à celle de Sotra, entre Austevoll et le Folgefonna est particulièrement
idyllique, et nous amène dans le magnifique périmètre autour de notre chère
Bergen. Ce n’est pas parce qu’on connait que c’est moche ! Et l’on assouvit au
passage un vieux fantasme, voir notre petit Saltimbanque trôner au sein du vieux
port, au ras de Bryggen… Quel pied !
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L’Ecosse du Nord ressemble finalement beaucoup à la Norvège de l’Ouest, ce qui
n’est pas pour nous déplaire. Le paysage s’aplatit progressivement lorsque l’on
gagne un peu vers le Sud, laissant place à un peu plus de civilisation. A la
différence de la Scandinavie, les contacts sont faciles, on discute plus
aisément, et les gens sont en règle générale sympathiques et serviables. Cela
permet d’accéder plus facilement à certains éléments culturels tels que… la
récolte de la tourbe et la distillation du Whisky ! Nous n’y connaissions rien
et avons découvert une industrie florissante entretenue par une population
passionnée !
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Plockton, superbe petit village des Highlands
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Le poids de l’histoire est toujours très lourd dans les rues de Belfast…
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Après les magnifiques lochs, collines et iles en tous genres, nous avons été un
peu déçues par la côte Est de l’Irlande. Plate, aux courants surprenamment
forts, avec peu d’abris tous très chers, nous sommes loin de l’image d’Epinal du
pub traditionnel au fond de la petite baie caillouteuse, qui reste apparemment
l’apanage de la côte ouest. La visite de Belfast reste toutefois l’expérience
culturelle la plus marquante du voyage.
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Une fois aux Scillys puis en Bretagne, nous sommes de retour au pays, le goût de
la découverte fait place à celui de la nostalgie. C’est agréable aussi, surtout
que le temps s’améliore, et nous prenons ces deux dernières semaines en terrain
conquis comme des vacances, sans se mettre trop de pression, et profitons
sereinement de ces endroits magnifiques qu’il fait bon retrouver.
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Enfin les vacances, sous le soleil de Camaret !
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Mais avec le recul, le point d’orgue de notre voyage reste les Shetland. C’est
étrange car nous n’avons presque pas pu y naviguer et sommes restées coincées
pendant 12 longues et frustrantes journées, n’ayant d’autre choix que de découvrir
le pays en bus. Mais nous avons ainsi eu le temps de prendre le temps, d’aller
visiter les sites archéologiques et les iles reculées, de voir et revoir ces
paysages délicieusement hostiles pour les apprécier dans le détail plutôt que d’en
seulement survoler la surface, de prendre nos habitudes et finalement s’approprier
ce petit pays si particulier et attachant. Nous ne nous attendions pas à rencontrer
la faune incroyable qui peuple les lieux, ni la véritable communauté de navigateurs
au long cours qui peuple le port de Lerwick : il faut croire que tous les oiseaux du
large se sentent bien ici !
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Sumburgh, la pointe sud des Shetland, son phare, ses fulmars, son roost de
courant…
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Unst, l’île tout au Nord des Shetland, ses fous et ses macareux, ses paysages
grandioses…
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Enfin, voyager en bateau permet d’apprécier les évolutions graduelles des paysages
mais aussi des cultures. Tout au long de l’été, nous avons navigué entre les
civilisations viking, celte et anglaise, qui se sont mélangées parfois, et souvent
affrontées, au cours des siècles… Des Shetland résolument vikings, à la très celte
Bretagne, en passant par l’Irlande déchirée, on observe les marques des conquêtes
passées. Les civilisations arrivent et repartent, laissant des ruines de toutes
formes comme des empreintes dans le sable. Les religions se succèdent, les systèmes
politiques aussi. D’autres caractéristiques fondamentales restent : le libre accès
aux champs et chemins est un droit inaliénable en pays vikings, tandis que les
Anglais ont des clôtures autour de leurs propriétés, et des jardins impeccablement
fleuris :o)
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Le but de ce voyage par l’Ecosse était clairement de ramener Saltimbanque en
Bretagne, pour boucler la boucle proprement et finir notre histoire commune là où
elle avait commencé. Aussi pour nous offrir une dernière aventure tous les trois en
guise d’au revoir.
C’est la première fois que nous naviguons sur Saltimbanque en connaissant déjà son
grand-frère, et nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer les différences et les
améliorations à venir. Le confort bien-sûr et la capacité à mouiller dans des
conditions plus
difficiles comme évoqué plus tôt. Mais il ne faudrait pas enterrer Saltimbanque trop
vite !
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Cette navigation en régions venteuses et agitées nous a rappelé comme notre
petit
Brise de Mer 28 est un excellent bateau à la mer. La traversée de la Mer du Nord
dans 25 bons nœuds de travers n’a été fatigante que pour l’équipage.
Saltimbanque, barré de drosse de maître par Bob, se riait bien de la houle raide
et traçait sa route à des vitesses records. De même dans la grande houle du Nord
de l’Ecosse, pas un écart de route, pas un surf incontrôlé… Quel bateau
incroyable…
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Saltimbanque sous 3 ris et un peu de génois en Mer du Nord
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Seul un mignon petit Saltimbanque a la place de s’abriter à Gairloch !
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Sa petite taille et sa maniabilité sont toujours un atout lorsqu’il s’agit
d’aller s’amarrer le long d’un caillou, ou de se faufiler dans la toute dernière
place de port disponible avant un fort coup de vent, comme à Tobermory. Combien
de fois avons-nous béni notre format miniature et notre capacité à tourner sur
place à faible vitesse pour s’amarrer dans des abris souvent inaccessibles à de
plus grandes unités… Sans parler des économies substantielles en frais de port !
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Mais surtout, après plus de 16 ans et 25 000 milles ensemble nous nous
connaissons parfaitement et naviguons en symbiose. Les manœuvres sont fluides,
les mouvements du bateau intégrés à notre équilibre ne nous surprennent plus.
Nous comprenons les moindres chuchotements de Saltimbanque, lorsqu’il nous
demande plus ou moins de toile, lorsqu’il nous prévient de l’usure d’une pièce
ou tout simplement lorsqu’il est heureux. Nous faisons notre possible pour le
satisfaire et il nous le rend bien en n’ayant plus eu aucun problème technique
sérieux depuis 10 ans.
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4b de travers et grand soleil, nous sommes tous les trois les plus contents du
monde
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Après cette ultime grande navigation notre complicité est à son paroxysme. Une
question évidente s’impose alors, pourquoi changeons-nous de bateau déjà ?...
Heureusement que ce dernier voyage avec Saltimbanque a été aussi froid et humide,
sinon nous serions sans doute encore en plein doute !
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Une dernière photo de famille et nous partons chacun vers de nouvelles aventures
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Il nous faut donc nous séparer de Saltimbanque, ou plutôt du Brise de Mer 28
numéro 11 dans la série comme nous l’appelons à présent après l’avoir vidé au
maximum de nos affaires et de nos souvenirs. Tout cela se concrétise très vite :
la vente est conclue à peine 3 semaines après notre atterrissage au Belon.
Sacré Saltimbanque : avant de le rencontrer nous étions de vagues plaisancières
avec
des rêves plein la tête, avec lui nous sommes devenues des navigatrices au long
cours, celles qui vont plus loin que les autres avec un plus petit bateau,
celles qui prouvent qu’on peut réussir sans équipement high-tech ni gros budget,
celles qui ont gagné le respect de leurs pairs, bref nous sommes devenues qui
nous sommes, des Saltimbanques du large. Se séparer de notre petit bateau c’est
se défaire d’une partie de notre identité. Nous étions les « moins de 30 ans sur
moins de 30 pieds », il est temps de grandir, d’embrasser notre statut d’adultes
et de devenir les « plus de 40 ans sur - juste un peu moins de - 40 pieds ».
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Bonne route Saltimbanque, toi qui vogues déjà vers ta cinquième traversée de
l’Atlantique, et merci pour toutes ces aventures !
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Saltimbanque retrouvera les alizés avant nous…
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Si nous rentrons dans notre chez-nous norvégien après toutes ces péripéties, ce
n’est que très temporaire. Après toutes ces années depuis le retour du voyage
Atlantique à rêver de larguer de nouveau les amarres « pour de vrai », nous avons
finalement franchi le pas. En 20 ans de vie active nous avons compris une chose :
soit on a l’argent mais pas le temps, soit on a le temps mais pas l’argent, jamais
les deux à la fois ! Il faut donc se décider ! Et puis si la colonne « argent » du
tableau Excel tombe trop bas, nous pourrons toujours trouver des solutions pour
remplir la case « plus ». Ce n’est pas le cas pour la colonne « temps », dont la
case « moins » augmente inexorablement chaque jour. Ça doit être la version «
ingénieurs » de la crise de la quarantaine ! Ajoutez à cela l’exemple de quelques
amis navigateurs atteints de graves problèmes de santé avant d’avoir pu réaliser
leurs rêves, et nous sommes maintenant convaincues : le bon moment, c’est maintenant
!
C’est donc la fin de ce premier tome de nos vies, qui se résume ainsi :
professionnelles accomplies le jour et Saltimbanques du large la nuit, au cœur du
paradis Scandinave.
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Heureusement il nous reste toujours nos chers kayaks pour quelques semaines encore
cet automne…
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Il nous reste encore quelques détails à régler pour le clôturer proprement :
vendre notre maison et quasiment tout ce que nous possédons (la voiture, les
skis, même nos kayaks bien-aimés…), empaqueter les quelques affaires que nous
gardons (quelques vêtements, ustensiles de cuisine, deux-trois livres, et les
petits objets auxquels nous sommes très attachées), et quitter nos entreprises
(après avoir pris soin de mettre nos successeurs et nos équipes dans les
meilleures conditions).
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Mais dès Janvier nous devrions pouvoir nous consacrer à notre nouveau bateau et
notre prochain départ. C’est que cela fait presqu’un an qu’il nous attend au sec, et
il commence à avoir sérieusement des fourmis dans la dérive ! Nous avons aussi hâte
de faire davantage connaissance. Nous savons qu’il nous faudra plusieurs mois pour
s’apprivoiser mutuellement, nous pour apprendre à manœuvrer un 40 pieds de 10 tonnes
et entretenir ses nombreux équipements, lui pour nous faire confiance et nous
emmener sans problème vadrouiller derrière l’horizon. Nous devrons aussi trouver nos
limites réciproques et acquérir un maximum d’expérience dans des conditions les plus
variées possibles.
Notre première saison à bord sera donc celle de la découverte, et l’Europe du Nord
nous semble un périmètre parfaitement adapté pour tirer sur le bateau sans pour
autant être loin des infrastructures techniques dont nous pourrions avoir besoin.
Cap donc sur la Norvège de l’Ouest pour nous et… UtPåTur, notre nouveau compagnon à
voiles ! Mais tout cela, ça sera une prochaine histoire :o)
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« Ut på tur, aldri sur !» Proverbe norvégien pouvant se traduire par : «
dehors au grand air, jamais en colère ! »
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