La transat retour… Tout le monde en parle avec appréhension avant le départ, avec respect quand on l’a faite. A notre tour de nous lancer sur cette fameuse route. Parfois difficile, toujours longue, elle traverse une bonne partie de l’hémisphère nord. Durant cette traversée plus que toute autre, notre progression se manifeste par les changements quotidiens de température, de couleurs, de vent, de ciel…
Plus d’images bleues, puis moins bleues, voire même plus bleues du tout :oS, sur notre page"Photos" - Et même un petit film pour se mettre dans l'ambiance !
2267 milles navigués en 19 jours et 10h, soit 4,86 nds de moyenne
11 045 milles parcourus depuis le départ
9 mai 2012 : Mer belle à peu agitée, vent E 3-4, beau temps – départ
A midi solaire, le soleil est à 0°57’ de nous, presque au zénith. Eau : 29,2° Air (intérieur du bateau) : 32°
Au réveil une petite brise aère enfin la vaste baie de Marigot empétolée depuis plusieurs jours. Nous sommes presque prêtes, l’annexe soigneusement pliée a repris sa place au fond du coffre, ça sent le grand départ… Ne manquent que 20L de diesel. Mais nous ne sommes pas les seules à vouloir partir, et de même qu’il n’y a plus un paquet de café sur les rayons du supermarché le plus proche, toutes les pompes à essence de ce côté-ci du pont sont vides – heureusement nos copines de Blue Wind nous emmènent en annexe dans le lagon faire le plein.
Allez, c’est pas tout ça, on y va ! On prépare le bateau, les voiles à poste, l’intérieur bien rangé, tout calé, les cadenas retirés… sauf celui du régulateur d’allure, qui refuse de s’ouvrir, même après un bain prolongé dans le WD40. Pas question de le laisser prendre notre précieux Bob en otage, tant pis pour lui : on sort la scie à métaux ! Et hop, en moins de 2 minutes, y’a plus d’antivol – et on comprend mieux pourquoi les vélos disparaissent aussi souvent aux Pays-Bas, c’est facile d’ouvrir un cadenas en fait !
Saltimbanque tout prêt pour le grand départ, les réserves supplémentaires de carburant sanglées dans les haubans
Nous levons l’ancre pour la dernière fois avant… longtemps… et éteignons le moteur pour glisser lentement à la voile le long de la côte de Saint-Martin. Le vent est léger et le soleil chauffe, c’est sympa ! Un petit bord vers l’île de Tintamarre pour se décaler de la longue Anguilla qui n’en finit pas de s’étirer vers le large, et puis c’est parti, cap au 40° vers Florès, à plus de 2000M de là…
Nous ne sommes pas les seules à avoir choisi cette date de départ : 4 autres voiliers font cap vers le Nord, sous les gentils cumulus d’alizés, tandis que les orages du soir montent sur les îles derrière nous.
Départ sous le soleil des Antilles, mais les orages montent déjà derrière nous…
La navigation est relativement confortable même si le près n’est pas notre allure préférée : ça bouge, ça tape, ça mouille, même avec à peine 15 nds de vent. Pas possible de dormir dans la cabine avant qui fait des bonds de 2 m sur chaque vague, pas possible de rester dans le cockpit sans se faire arroser : notre espace vital se réduit aux 4m2 du carré.
Le premier incident de la croisière survient dans la nuit, lorsqu’un point d’attache du filet à légumes extérieur cède. Un chou, des patates et des agrumes disparaissent dans l’eau noire : pas un gros problème car on a largement assez de conserves pour survivre, mais c’est frustrant… La couleur grisonnante du ciel n’aide pas à remonter le moral. Et en plus on perd une coryphène qui repart avec notre leurre… Sympa le début de transat :oS
10 mai: vent ESE 4-5, mer agitée, orages – 124 M
Midi solaire : soleil à 2°13’ de nous. Eau : 28,3°. Air: 29,7
Temps gris et maussade en ce deuxième matin, mais le vent est favorable, 15 nds au sud-est, Saltimbanque fonce à 6nds sur la route orthodromique directe ! On se repose et on inaugure notre bannière : puisqu’il n’y a pas de Noël à préparer cette fois-ci, nous allons exercer nos talents d’artistes sur un grand drapeau, relatant chaque jour à la manière d’une BD.
A la tombée de la nuit le ciel s’obscurcit, devient noir anthracite, s’illumine d’éclairs… Les sommets protecteurs des îles sont bien loin déjà, notre mât est tout seul au-dessus de l’eau en plein dans les nuages… Jusqu’à 4h nous zigzaguerons au milieu des orages, un voilier loin devant nous et un autre derrière… Pour ne rien arranger le vent forcit à près de 20nds : nous changeons le génois pour le foc et prenons 2 ris. Pas vraiment reposante la nuit…
Bon, il va falloir s’habituer à vivre penché maintenant !
11 mai: vent ESE 3-5, mer peu agitée à agitée – 129 M
Midi solaire : soleil à 3°20’ de nous. Eau : 27,9°. Air: 29,8°
Heureusement au matin le soleil montre le bout de son nez et réchauffe l’ambiance du bord. On fait sécher les affaires dehors, on prend une douche… l’eau est déjà sensiblement plus froide mais encore très supportable, le rinçage à l’eau douce est un délice pour notre peau couverte d’embruns.
A midi, point météo complet. Pour remplacer le regretté bulletin de RFI, nous avons joué le joker « coup de fil à un ami » : point de routeur mystère cette fois, notre contact à terre est parfaitement identifié – Yann nous envoie la météo tous les jours par sms sur le téléphone satellite et tous les 2/3 jours une version complète par mail. Merci beaucoup Yann !!!! Nous complétons avec les fichiers Grib et notre toute dernière trouvaille, les cartes de situation générale du NOAA reçues également par Iridium (détails techniques ci-dessous). Au programme des prochains jours: pétole à l’ouest du 60W et risque de petite dépression à notre Est pouvant générer des vents de 30nds. Il faut viser entre les deux… (en fait le lendemain la « petite dépression » se révèle être une erreur de prévision des Gribs). Route au 20° au bon plein à près de 5,5 nds de moyenne !
Le soleil se lève sur une nouvelle journée de près !
Le ciel bleu est de courte durée : à peine le temps d’en profiter que les nuages et rafales reviennent… Nous revoilà sous 2 ris-foc, la bosse de 3ème ris prête, c’est de nouveau la guerre sur Saltimbanque. On abat 5 minutes au grand largue pour arranger nos voiles d’avant : stupeur, le bateau ne bouge plus, on tient debout, on dirait presque qu’il n’y a plus de vent…. Aaaaah que c’était bien le portant….
Retour au cap, retour au près, la vie à bord se résume à veiller / dormir. On essaye comme à l’aller de passer du temps ensemble l’après-midi, mais la priorité reste le repos. Par rapport à la transat des alizés, on fait une ou deux siestes de plus dans la journée. Le bateau penché en permanence, où verticales et horizontales se confondent, où les chocs des vagues se succèdent plus rapidement qu’au portant, fatiguent rapidement tous nos muscles. Tout est également très humide, le pont est constamment balayé par les vagues qui égouttent même parfois par le capot de descente sur les pieds de celle qui dort… Heureusement les conditions sont encore assez tropicales pour qu’on vive en short/tongues, avec à peine un ciré léger la nuit contre les embruns :o) Comme ça on peut rester un peu dehors à contempler les étoiles, le scorpion est magnifique sous ces latitudes…
12 mai: vent ESE 3-5, mer peu agitée à agitée – 122 M
Midi solaire : soleil à 5°08’ de nous. Eau : 27,1°. Air: 28,4°
Après une nuit assez reposante, le lever du jour nous trouve sur l’autoroute des Açores : 2 cargos croisés en quelques heures, puis une belle voile blanche apparaît derrière nous, virgule éclatante gracieusement posée sur l’horizon. C’est qu’elle grossit vite la virgule ! Bientôt un beau bateau bleu ciel gréé en cotre (et 3 étages de barres de flèche quand même !), nous double par le travers. On s’appelle à la VHF : Volterra a quitté Saint-Martin peu après nous, en route pour Horta… où ils espèrent arriver dans 7 à 8 jours !!!! Euh, ben nous ça sera un peu plus… On échange les adresses mails et les formalités d’usage quand un équipier demande : « C’est bien un Brise de Mer 28 votre bateau hein ?...Je l’ai déjà vu en Afrique, je connais l’ancien propriétaire, Jérôme… » Ah bah même au milieu de l’Atlantique il est célèbre Saltimbanque !
Bon d’accord un gros bateau ça va plus vite, mais nous on est mignon et toc !
Quelques heures plus tard nous passons le Tropique du Cancer. Adieu les tropiques où nous avons navigué depuis Octobre dernier et ce passage du Cap Blanc sur la route de Dakar…
L’après-midi est très calme, le bateau avance gentiment toujours au près bien-sûr sous toute sa toile. On fait du pain, on bouquine, on passe même du temps dans un cockpit (presque) sec à jouer au Trivial Pursuit ! On savoure la douceur de la routine en mer, de ces moments où le bateau avance tout seul, où l’esprit peut s’échapper un peu à travers un livre ou une conversation. On semble alors complètement déconnectées de ce qui nous entoure, de l’eau bleue, du soleil étincelant, du vent rafaleux… Mais il suffit d’un bruit inhabituel, d’une ombre aperçue au coin de l’œil – ou plus exactement en cette fin d’après-midi, d’un éclair – et l’on se fige, les sens aux aguets, toute activité suspendue. Adieu repos, les nuages s’amoncellent de nouveau comme tous les soirs et on guette les orages… Finalement ça tombe loin derrière nous, merci Poséidon ! Par contre le vent forcit et nous passons nos changement de quarts à installer le foc au lieu du génois, prendre des ris… Nous qui pensions entrer dans une zone de calme associée à une dorsale anticyclonique, on n’y comprend plus rien !!
Il faisait beau avant que le nuage ne monte, mais pourquoi tant de haine !
13 mai: vent ESE 4-6, mer peu agitée à forte – 111 M
Midi solaire : soleil à 6°23’ de nous. Eau : 26,5°. Air: 28,8°
Au lever du jour Camille espère aller se coucher pour sa 2ème moitié de nuit. Mais le soleil en montant traîne derrière lui une escorte d’épais nuages de formes et d’altitudes variées qui obscurcissent l’horizon. Le vent monte soudainement, et nous passons brutalement de GV haute à plus de GV du tout, sous foc seul. La mer se forme très vite, et le bateau est toujours au près, s’écrasant contre chaque vague. Ce bazar dure 1 heure, le temps que le front passe et que le vent mollisse… pour reprendre de nouveau en ayant adonné de 30° !
Tout ce tumulte du bateau (re-)bondissant sur les vagues rend le repos difficile et lorsque la situation se calme un peu dans l’après-midi la priorité absolue devient la sieste. En grande traversée il faut veiller sur le repos de l’équipage au moins autant que sur l’état du bateau…
Les phaétons, oiseaux du grand large
Le fond de l’air est notoirement plus frais maintenant, même si (heureusement !) le soleil tape toujours : passer du temps sur le pont devient agréable même au plus chaud de la journée, mais on commence à se couvrir pour la nuit. Deux phaétons (ou « paille-en-queue ») nous accompagnent un moment, dansant gracieusement près du mât, à 500M de toute terre…
Ce soir le bateau est assez tranquille pour cuisiner : on s’offre une tarte au citron au dessert ! Puis c’est la nuit étoilée, relativement calme. Assise dans la descente on écoute des audiobooks (les aventures de « Hornblower », capitaine de la Marine Anglaise combattant Napoléon et les galions espagnols) en contemplant la progression des cumulus noirs sur le ciel étoilé et l’éclat du dernier quartier de lune sur les vagues… Enfin une nuit sans orage…
Alors ch’est bon ?
14 mai: vent SE 3b, mer peu agitée – 114 M
Midi solaire : soleil à 7°37’ de nous. Eau : 26°. Air: 29,8°
Une belle journée de près sur Saltimbanque !
Les dorsales anticycloniques, ça a du bon ! Cette zone de haute pression qui s’avance sur nous fait mollir sensiblement le vent et la mer. Saltimbanque se défend très bien dans les petits airs grâce à son petit gabarit et sa coque toute propre. La vie « normale » peut reprendre après ces premiers jours bien sportifs au près dans la brise, et on en profite : on dort sereinement, on se lave à grande eau (qui devient fraiche…) on fait même sécher nos serviettes et draps au soleil ! Quel bonheur de pouvoir marcher debout et au sec jusqu’à l’avant du bateau !!
Toujours de nombreux voiliers à l’horizon, encore 3 aperçus ce jour. Beaucoup de sargasses aussi, ces algues vivant à la dérive en haute mer prolifèrent ici, non loin de la fameuses « mer des sargasses ». Elles nous agacent plutôt comme elles se prennent dans la pale de Bob qui essaye désespérément de barrer dans les petits airs, ou dans notre poulpi qui parait d’un coup bien moins appétissant. 6 jours de haute mer et pas le moindre poisson frais, ça ne nous était encore jamais arrivé…
La nuit tombe, ainsi que la température… Le menu du soir est de circonstance : tartiflette au cheddar (oui on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a !) On se résigne et sortons pour la nuit… un pantalon… si ! On troque également les tongues pour des chaussettes et des chaussures… On se gèle mais il fait encore 25° dans le bateau, serait-on déréglées après 6 mois de tropiques ? La nuit est tout de même splendide, comme au planétarium, une coupole étoilée parfaite nous tient lieu de plafond.
15 mai: vent NE 4b, mer agitée à forte – 114 M
Midi solaire : soleil à 8°44’ de nous. Eau : 25,1°. Air: 26°
Que d’événements aujourd’hui ! Tout d’abord nous changeons l’heure du bord pour la première fois. Les Antilles vivent en Temps Universel (TU) moins 4h, et les Açores 4h plus tôt, en TU. Comme nous allons vers l’est, nous devons reculer nos montres progressivement ou le soleil finirait par se lever à minuit pour se coucher à 14h ! Ayant une grosse trentaine de méridiens à remonter, et sachant que le soleil progresse de 15° en une heure, nous ne perdons que 2h « solaires » - mais les lois des hommes ont décidé autrement et nous devrons caser 4h : on a décidé de changer d’heure tous les 8° de longitude environ. A midi il est donc déjà 13h, c’est déjà l’heure de déjeuner, et l’heure du quart de repos arrive 1h plus tôt !
1 an de voyage ! Ça s’arrose, mais avec une extrême modération en mer…
Dommage car nous avons du boulot en cette après-midi raccourcie. Aujourd’hui nous fêtons… notre 1 an de voyage ! Et oui il y a 1 an, le 15 mai 2011, nous quittions Stad-aan-het-Haringvliet, saluions nos amis Hollandais sur le quai et rejoignions le ponton de la première écluse à quelques milles de là. Première rencontre, un couple nous demande où on va comme ça. Un peu embarrassées on baragouine quelque chose comme « De l’autre côté de l’Atlantique, enfin on va essayer ». Cela paraissait tellement irréel… et pourtant le près et les vagues de face pour re-traverser ce grand océan sont bien réelles, humides et froides un an plus tard !!! On parvient tout de même à cuisiner un étonnant « pudding au chocolat », recette trouvée dans notre bible culinaire : « Guide de la cuisine à bord » de Michèle Meffre. Mmmm c’est bon, et copieux en plus ! Parfait pour attaquer la nuit, cette fois au tour des bottes de sortir des placards :o(
16 mai: vent ENE 4b, mer agitée à forte – 109 M
Midi solaire : soleil à 11°20’ de nous. Eau : 23,7°. Air: 25,8°
Après une semaine de près à un cap pas trop mauvais, ça devait arriver, le vent refuse et nous faisons route plein nord, toujours au près… De plus la mer a perdu plus d’1° depuis hier, Laure en profite pour se laver tant que c’est (presque) encore supportable. Bonne initiative car dans l’après-midi le vent et surtout la mer montent rendant la vie à bord extrêmement inconfortable. Les vagues entrent en cataractes par le panneau de descente sur la couchette de quart, et nous construisons une « cabane » en sacs plastique et serpillères pour essayer de dormir au sec…
Notre cabane anti-vague…
Repas peu gastronomique, nouilles chinoises tartines de pâté, ça sent les conditions sportives (et bien sûr il a fallu changer la bouteille de gaz qui choisit toujours son moment pour être vide…) Et c’est reparti pour une nouvelle nuit étoilée, froide et humide. Pantalon de ciré ? Non on ne se résout pas à de telles extrémités, on va plutôt rester au chaud à l’intérieur ! Par contre la couverture polaire devient nécessaire en plus du drap, première fois depuis la Gomera, fin septembre dernier…
17 mai: vent ESE 3-4b, mer peu agitée – 117 M
Midi solaire : soleil à 11°47’ de nous. Eau : 22,6°. Air: 24,1°
Une physalie, pas facile à photographier… (en bas à droite une belle image d’internet)
Dans la nuit nous avons passé le 30ème parallèle. Au matin le soleil se lève sur un nouveau décor. Il y a toujours le bleu à la fois profond et intense du large, et le blanc brillant de quelques gentils cumulus d’alizés. Vu d’un bateau il n’y a pas de ligne lorsqu’aucune côte ne vient déranger les symétries. Vu d’un bateau l’horizon est rond – le monde est une galette bleue. Une couleur manque ce matin : le jaune sale des sargasses. Plus d’algues ! A la place quelques points roses fluos dansent sur les vagues. De drôles de choses comme des bulles mais à plat : ce sont des physalies, les méduses à voile. Les poissons volants se font rares. On aperçoit par contre toujours de loin en loin le brun foncé d’un puffin qui plane au ras des vagues.
Voilà une semaine que nos lignes trainent inutiles. Empêtrés dans les algues ou abimés par d’invisibles monstres, les poulpis remontent vides – et on mange du cochon. Mais ce matin… « Touche » s’écrie Laure ! « C’est gros » elle ajoute pour s’excuser de réveiller Camille. On affale le foc pour ralentir, on attrape les gants, le crochet à poisson… La ligne est très tendue mais sans à-coup et s’enfonce profondément. Pas de saut, ce n’est donc pas une coryphène. La ligne remonte doucement, part d’un côté, de l’autre, s’enfonce, remonte un peu – toujours sans indication de la bestiole au bout. Soudain un saut : un espadon ! La forme disparait de nouveau jusqu’à être ramenée le long du bateau. L’espadon nage, majestueux malgré l’hameçon dans son rostre. Il ne se débat pas en convulsions désordonnées et inutiles, il semble patient, réfléchi et fait surface de temps en temps. Un seul coup de queue, un mouvement de tête brutal, seulement quand il sent une chance… il est si beau, on dirait un dauphin… il est gros surtout, 1m20 ou 1m50 – bien trop de viande pour nous deux – à supposer qu’on puisse le remonter ! Finalement on le relâche, impressionnées. On a perdu un leurre et gagné de beaux souvenirs, et l’impression furtive de soudain comprendre « le vieil homme et la mer ».
Notre espadon, si beau qu’on a vite décidé de le laisser partir :o)
La perche mystère (copyright photo: Richard, de Sya, qui a croisé la même sur la route des Bermudes!)
Quelques heures plus tard l’autre ligne se tend. Un éclair acier et jaune et des bonds furieux : une coryphène ! Une belle bête, mais au moment de la remonter et se débat et arrache l’hameçon :o( A mdi, ça sera encore du jambon !
Les après-midis sont agréables sous ces latitudes. La mer est assez plate pour qu’on puisse rester à lire et à profiter du soleil dans le cockpit. La mer est belle, la longue houle de l’Atlantique s’hérisse de petites crêtes formées par le vent. Et puis au milieu de nulle part une perche, comme un casier de pêcheur mais avec un losange à la place du drapeau. Elle ne semble pas dériver… peut-être une balise météo ? Et là à côté, un premier jet d’eau, comme de la fumée au loin. Puis plus près, encore un autre. Une baleine ? Non… deux jets d’eau ! On ne voit toujours pas les animaux qui se rapprochent et passent par le travers. Puis une grosse queue marron foncé se dresse lentement à la verticale, très haut au-dessus des vagues avant de s’enfoncer doucement, suivie d’une autre plus petite. D’après notre guide il s’agirait de cachalots.
C’est l’heure du point météo du jour. Les cartes de vent tout comme Yann nous annoncent la fin du près dans quelques jours ! L’anticyclone attendu retourne reprendre sa place sur les Açores, et même un peu plus au sud, créant au passage une zone de calme puis de vent adonnant pour nous. Dans 2 jours on sort des alizés. C’est alors qu’il faudra être vigilant et naviguer en bordure des dépressions qui se forment : pas trop loin pour toucher du vent portant, pas trop près pour ne pas en avoir trop… Ce soir on s’attarde dans le cockpit, jouant aux énigmes sous les derniers rayons du soleil en partageant une bière – pour fêter, s’il fallait un prétexte, la fin annoncée du près… Pour la première fois, quand Laure se couche à 20h30 il fait encore presque jour, on a gagné quasiment 1 h de soleil depuis le départ.
Les couchers de soleil sont de plus en plus rouges comme on monte en latitude
18 mai: vent ESE 3-4b, mer peu agitée – 118 M
Midi solaire : soleil à 13°09’ de nous. Eau : 22,2°. Air: 24,7°
Encore une nuit très agréable sous une coupole d’étoiles, bien visibles en l’absence de lune. Le scorpion préside, brillant toute la nuit sur tribord en face de celle qui veille dans la descente. On fait route sur Cassiopée à peu près. Le Dauphin, petit et discret, et toujours là lui aussi, jouant à cache-cache avec les rares cumulus.
Au matin comme d’habitude on installe les lignes de pêche. Soudain « un poisson » ! Pas de bond ni de plongeon mystérieux cette fois : la bestiole traine à plat sur le côté, rebondissant bêtement sur les vagues, gros œil et fine aile vers le haut : c’est un thon ! Un beau thon jaune ! Saltimbanque se transforme en bateau usine pour découper et transformer toute cette chair fraiche : steak mi-cuit à midi, suprême de thon à la provençale le soir (mijoté avec patates, tomates, herbes et une lichette de vin blanc), thon froid en salade puis mariné à la sauce tériaki, revenu avec des nouilles chinoises le lendemain. Le reste est salé pour plus tard.
Encore une belle après-midi ensoleillée. Le vent un peu mou nous incite à renvoyer le génois. Les jours précédents ont été sportifs, l’esprit peu libre pour s’élever au-dessus des vagues – et de sa ration de nouilles. Mais dès que les éléments nous accordent une trêve, dès qu’on peut rester plus de quelques heures sous le même ciel et avec la même toile, alors on profite d’être en mer : la vie est simple sous les alizés, le reste du monde semble bien loin, seuls comptent le vent, la mer, le ciel, et les quelques voiles et autres objets flottants qu’on croise parfois.
Enfin un poisson, et la perspective de changement dans notre ordinaire culinaire!
19 mai: vent S 4-5b, mer peu agitée à agitée – 134 M
Midi solaire : soleil à 13°50’ de nous. Eau : 22,5°. Air: 24,1°
Après une nuit calme au près, le vent forcit et adonne soudainement. Réduction de voilure, ajustement du cap, bingo Saltimbanque fait cap direct sur Florès ! Comme à chaque fois que le vent forcit (toujours assez brutalement étonnamment), la mer se lève aussitôt et forme des vagues raides très pénibles. Au bout de quelques heures la houle s’allonge et devient beaucoup plus confortable. De manière générale la mer a été beaucoup plus calme qu’à l’aller dans toute cette partie alizéenne, correspondant tout à fait à la force du vent.
La fin des vacances…
Tout au long de la journée le vent adonne et nous abattons au fur et à mesure pour rester sur notre cap. Après 10 jours et demi de près tribord amures, Saltimbanque abat enfin et s’envole au travers ! C’est un tournant de cette transat : nous quittons ainsi le régime des alizés et entrons dans le royaume des dépressions et anticyclones. Le courant aussi change : alors qu’il portait au nord-ouest depuis le départ, nous approchons à présent du Gulf Stream qui porte à l’est et maintient l’eau à une température humainement concevable (sinon elle serait à 5-6°). Nous passons également la mi-transat, et quelques heures après nous lisons avec bonheur qu’il reste moins de 1000M à parcourir d’après notre GPS… Ce point clé de la transat est matérialisé par les « Corner Seamounts » que nous rasons, les « montagnes sous-marines du coin » qui s’élèvent à plus de 4000m sous l’eau : les fonds de- 5000m montrent des sommets à -900m ! (c’est bon, avec 1,5m de tirant d’eau on passe encore par-dessus !)
20 mai: vent SSW 3-4b, mer peu agitée à agitée – 123 M
Midi solaire : soleil à 14°37’ de nous. Eau : 21,9°. Air: 26,5°
Aaah, l’Iridium, notre nouveau meilleur ami !
Au travers, le Gulf Stream aidant, Saltimbanque fonce sur une mer presque plate c’est un régal. Mais ces conditions idéales ne sauraient durer : une grosse dépression centrée sur le Groenland génère des vents de 35 nœuds jusqu’au 38ème parallèle. Nous recevons comme tous les jours les prévisions de Yann par texto sur l’Iridium, puis voilà que nos amis de Shadok 2 et de Jingle ex-Traou-Mad s’y mettent spontanément ! Nous ne manquons donc pas d’info météo, et recevons aussi avec un grand bonheur les petits mots des amis ou de la famille. Aujourd’hui on apprend que la dernière position communiquée des « 3 gouttes » est à 30M de nous ! Peut-être était-ce l’un de ces voiliers dont on voit les feux presque toutes les nuits depuis le départ ?
Mais pour l’heure nous ne voyons pas le vent fort annoncé. Il reste faible mais tourne au sud-ouest, nous voilà au grand-largue, youpie ! Allure confortable pour diverses activités : météo, dessin sur la bannière, réparation d’une petite fuite de diesel, d’une petite fuite sur un hublot, et même douche sous le chaud soleil de l’après-midi (c’est bien le seul truc « chaud » dans l’histoire :oS)
Cette nuit, alors que Laure est tranquillement en train de contempler les étoiles, une lumière apparaît devant sur l'horizon, puis une deuxième... tiens, deux bateaux? Chouette, de la compagnie... euh attends, 2, 3, 4...6 lumières devant, un peu bleuâtres, espacées d'une cinquantaine de mètres et bien alignées façon piste d'atterrissage... le temps de réaliser ce qui se passe, Saltimbanque coupe le cordon lumineux en son milieu exactement. Si c'était un repère pour les vaisseaux extraterrestres, aucun ne vient nous poursuivre.
21 mai: vent W 5b puis pouf NNE 2-4, mer agitée à forte – 117 M
Midi solaire : soleil à 14°32’ de nous. Eau : 21,6°. Air: 23,7°
Le vent a finalement monté pendant la nuit comme prévu, et le jour nous trouve sous génois seul au vent arrière dans une houle forcissant. Heureusement nous avions vu la dépression venir et étions restés sagement sous le 35ème parallèle pour ne pas avoir trop de vent, il ne dépassera pas 20 nœuds. La mer est superbe, sa longue respiration ondulant sous le soleil. Le vent est pile par l’arrière et même si Bob nous maintient un grand largue plus qu’acceptable nous barrons à la main une bonne partie du temps pour rester pile sur la route directe. Quel pied de glisser en surf à 7-8 nœuds sur cette longue houle de 2-3m ! Souvenirs de transat aller… On trouvera ça nettement moins drôle au bout de quelques heures quand le ciel se couvrira complètement et qu’il se mettra même à crachiner. Changement de décor, c’est plus les Alizés, c’est la Bretagne !
A donf !
Finalement le front froid arrive d’un coup, boum, entre le plat (cassoulet en boîte c’est de saison…) et le yaourt. Le vent tourne subitement au NNE et on se retrouve… au près ! Sisi, 10 jours de près, 2 de portant avec un empannage et de nouveau on serre le vent, bâbord amures ce coup-ci. Il faut réapprendre à vivre penchés de l’autre côté. La houle elle est toujours forte par l’arrière, étrange sensation que de partir au surf avec 30° de gîte…
S’ensuit une nuit pénible, où les sautes de vent nous obligent à échanger foc et génois toutes les 2 heures environ – sans compter les innombrables prises de ris…
22 mai: vent NNE 1-4, mer peu agitée mais houle N 2m50 – 106 M
Midi solaire : soleil à 14°48’ de nous. Eau : 21,7°. Air: 20,2°
On commence la journée par dormir, pour tenter de rattraper le déficit de sommeil. Dans la nuit on a croisé deux lignes symboliques : le 35ème parallèle N et le 45ème méridien ouest. La première transition se matérialise par les polaires qu’on ne quitte plus même de jour, la seconde par une nouvelle heure de décalage ajoutée aux montres hier.
Cela fait maintenant 2 semaines que nous sommes en mer, et 2 semaines c’est déjà long. On est à ce moment délicat où les organismes accusent la fatigue de 14 jours de mer, aux nuits morcelées, aux efforts permanents pour tenir debout, et pour autant on est encore trop loin du but final pour filer les milles restant dans un dernier sprint. Avec déjà assez de recul sur la première partie du voyage on en distingue les grandes périodes (les premières nuits orageuses, les jours plus calmes où l’on a commencé à profiter, puis de nouveau du sport…), elles sont déjà dans la catégorie souvenirs. Mais aujourd’hui, maintenant, le bateau bouge, le ciel change, le voyage continue… Moins de 600M au GPS, on en a déjà fait plus de 1500. On serait tenté de prévoir une arrivée dans 6 jours, mais la météo le voudra-t’elle ?
En effet le front froid de la dépression de ces derniers jours a coupé l’anticyclone des Açores en deux. Comme souvent, en Atlantique Nord du moins, celui-ci se reforme en 2 nouveaux centres : un secondaire au sud-est de sa position initiale, et un principal au nord-ouest, c’est-à-dire… bah pile sur nous… Et donc alors que nous avons atteint la latitude des vents et courants portants et lorgnons sur Florès avec une incommensurable envie, il va nous falloir endurer plusieurs jours de vent nul ou très mou. On vérifie Nestor, il démarre, c’est déjà ça…
Une nouvelle nuit en Atlantique se profile…
23 mai: vent NNE 1-3, mer belle à peu agitée– 89 M
Midi solaire : soleil à 15°14’ de nous. Eau : 21,3°. Air: 20,6°
Pour l’instant le vent est faible mais toujours suffisant pour avancer à la voile. Grâce à son faible déplacement (on l’allège tous les jours en boîtes de conserve !) et à une coque bien lisse, Saltimbanque s’offre même le luxe de doubler un autre voilier – bravo notre bateau ! Cinq dauphins communs viennent saluer la performance au petit matin. Notre vitesse reste déprimante (3 nds) dans un vent et un courant très irréguliers et une longue et grosse houle de N, résidu de la dépression. Montagnes russes au ralenti, assez impressionnant. On prend notre mal en patience, au moins le bateau est plat ! La vie à bord reprend sa routine habituelle : 20h-23h Laure dort , puis Camille jusqu’à 2 ou 3h, puis Laure jusqu’à 6 ou 7h, et Camille finit sa nuit jusqu’à 9 ou 10h. Laure retourne alors faire une sieste souvent. A midi on déjeune ensemble, on fait le point, la météo, le dessin du jour sur la banderole. Camille fait une nouvelle sieste l’après-midi, avant de passer la soirée et le diner ensemble. Et tout recommence… on passe plus de temps à étudier la météo et à manœuvrer qu’à la transat aller, et moins de temps à cuisiner. Le sommeil est important, la route est encore longue…
Photos de dauphins : on est jamais déçus.
Ce soir des petits cris accompagnent notre dîner : des dauphins tachetés viennent jouer un moment autour de l’étrave.
Tombée de la nuit, le vent mollit encore plus et Saltimbanque alterne voile et moteur, petit escargot entêté qui avance vers ces îles où la salade a l’air si verte… (qui a dit c’est à cause de la pluie ??!!)
24 mai: vent inexistant puis SW3-4, mer belle à peu agitée– 106 M
Midi solaire : soleil à 15°49’ de nous. Eau : 21,6°. Air: 24,8°
« Aujourd’hui, c’est moi qui raconte ! Moi, c’est Bob, le fidèle régulateur d’allures qui tient la barre jour et nuit et jour sans dormir, sans une pause, sans se plaindre. Yeah, man ! Ben aujourd’hui, ch’suis en vacances ! Enfin au chômage technique quoi. Ch’fais c’que j’peux, mais sans vent ch’peux pas grand-chose, du coup c’est Max le pilote électrique qui fait mon boulot… M’enfin ça fait du bien de se détendre les drosses de temps en temps. De regarder le paysage, de compter les physalies tout ça… La houle se calme progressivement, la mer prend cette surface étrangement plate quand pas un souffle ne vient la rider. Ma contemplation est à peine troublée par le pout-pout-pout omniprésent de l’ami Nestor, qui bosse sans relâche dans sa cale obscure. L’a l’air en forme, pourvu que ça dure ! Au loin le voilier que nous avions dépassé hier semble lui aussi fonctionner au diesel : il enclenche la seconde et disparaît devant (mais chuut, faut pas le dire à Nestor, il est susceptible !) Impressionnant quand même le trafic dans le coin, c’est l’autoroute des Açores, vraiment ! Il se passe rarement 24h sans qu’une voile – ou plus rarement un cargo – ne se pointe à l’horizon. L’océan est grand, mais il est peuplé !
On pout-pout-poute ainsi toute la journée à une vitesse respectable, dépassant parfois les 4 nœuds quand un léger souffle gonfle les voiles toujours hissées. A bord l’équipage se repose, fait un gâteau, aère le bateau, sort les ordis et charge tout ce qui peut l’être sur la batterie gonflée à bloc par l’alternateur du moteur.
Tiens un peu d’agitation sur le pont, serait-ce à cause de ces jets d’eau à l’horizon ? Ils se rapprochent, de gros jets d’eau coniques de près de 10m de haut, un dos de baleine qui plonge, pas de queue. Bof, juste un rorqual commun, on s’excite pour pas grand-chose… Ça ne va pas m’empêcher de retourner à ma sieste ! »
C’est calme… on fait sécher les matelas et les duvets !
25 mai: vent SW 4-5, mer agitée– 125 M
Midi solaire : soleil à 16°15’ de nous. Eau : 20,7°. Air: 25,2°
Minuit : « Hé Bob, debout ! Réveille-toi ! Le vent s’est levé il faut retourner au boulot mon pote… » Nestor le moteur se repose enfin après 17h de travail sans faille, Max le pilote reste prêt au cas où, les voiles se gonflent, on est repartis au grand largue, glissant enfin silencieusement sur une mer bien lissée par la pétole de la veille.
Il fait gris :o(… mais il ne pleut pas ! Donc il fait beau et on fait sécher les cirés !
Le vent continue de monter, toujours au portant, sous un ciel plutôt clément. Oubliés les grands ciels bleus et le soleil de plomb, les tons sont verts et gris à présent mais ce n’est pas si désagréable, l’homme finit par s’habituer à tout ! On ressort avec nostalgie notre savoir-faire alizéen dans ce décor Breton, et tangonnons le génois. Saltimbanque fonce, Bob barre dans la houle plein vent arrière sans que jamais le génois ne claque, il ne manque que les poissons volants…
Moins de 400M restants indique notre GPS, et même moins de 100h de nav, on s’approche indéniablement. Au point météo de la journée, on note l’arrivée dans 4-5 jours d’une dépression très creuse sur les Açores, 30-35 nœuds de vent établi, plus dans les rafales, sans doute beaucoup de mer… 400M à courir, une fenêtre de 4 jours avec du vent portant modéré à assez fort annoncé, c’est jouable. Notre stratégie pour gérer cette nouvelle dépression sera des plus subtiles : on fonce !!!! Il faut qu’on soit arrivées à l’abri pour le gros temps. Le sprint final a commencé…
26 mai: vent N 1-3, mer peu agitée– 125 M
Midi solaire : soleil à 17°40’ de nous. Eau : 19,5°. Air: 18,5°
Au grand largue sous génois tangonné, Saltimbanque avance comme une fusée à près de 6 nœuds, barré par un Bob très consciencieux qui maintient un cap pile en route directe. Pour l’instant le plan se déroule comme prévu. Mais comme promis par notre bien-aimé Iridium, un front doit passer dans la nuit, mettant fin à ces conditions idylliques.
On n’est définitivement plus sous les tropiques… Où sont rangés les gants déjà
Effectivement à 2h 14 du matin, une barre noire se détache sur le ciel sombre d’une nuit sans lune… Laure alors de quart, les yeux sur le compas, voit le vent tourner de 100° en 10 secondes ! Saltimbanque qui glissait gentiment au portant l’instant d’avant fait maintenant face à la houle. Camille arrachée de son sommeil par les bonds désordonnés de la cabine vient aider à la manœuvre, et nous voilà de nouveau au près…
S’en suit une journée grise, indécise et frustrante. On fait à peine le cap direct avec ce vent de Nord, et pire, Eole semble s’être enrhumé (on le comprend un peu, l’eau est à 19°…) et s’essouffle… Ah non ça c’était pas prévu ! Le moteur vient périodiquement au secours des voiles faseyantes, c’est qu’on a une moyenne à tenir…c’est une journée d’impressions fugitives, comme les fréquents passages de dauphins curieux et la danse rapide des physalies rose fluo sur les crêtes des vagues.
27 mai: vent W 6-7, mer forte à très forte– 116 M
Midi solaire : soleil à 17°17’ de nous. Eau : 18,7°. Air: 19,7°
La nuit suivante voit le vent forcir et adonner de telle sorte qu’on se retrouve bientôt grand-voile arrisée puis affalée, sous génois seul, quasiment au vent arrière. Pour tenir la voile gonflée sur cette houle grandissante, on reprend la barre, dans l’espoir que les quelques dixièmes de nœud et les degrés ainsi grappillés nous permettront d’atteindre le port avant le « vrai » coup de vent de la semaine prochaine…
Une vague parmi tant d’autres
Avec le jour le vent forcit beaucoup, notamment dans les grains, et les creux se forment, des longues montagnes de 3 à 4 m qui grandissent, grandissent, s’approchent à l’arrière du bateau, hérissées d’écume, largement plus hautes que le portique arrière. Euh, elles vont nous retomber dessus là !... Et non, le bateau se soulève gentiment et monte sur les vagues, avant de redescendre en surf, tantôt tout droit, tantôt avec une embardée sur le côté dans un fracas d’écume. La barreuse a presque le vertige lorsque, du haut des vagues, elle aperçoit tout l’océan autour :oS On fait pas trop nos malines quand même hein ! Le bateau avance avec un tout petit bout de génois maintenant, quasiment à sec de toile. Il n’avance pas si vite que ça non plus, 4,5 nds de moyenne : c’est assez frustrant, mais quand on déroule plus le régulateur a tendance à se mettre en travers des lames, pas cool – et comme il pleut on n’a plus trop envie de rester à la barre ! C’est sans conteste les conditions les plus fortes que nous n’ayons jamais eues. Nous mesurons jusqu’à 30 nœuds établis avec notre petit anémomètre à main, soit 7b, et la mer qui va avec. On passe très bien, mais on est contentes d’être au portant quand même, dès qu’une lame nous fait lofer un peu le vent hurle dans le gréement comme jamais…
Finalement le vent mollit et la houle diminue un peu le soir, permettant à l’une de nous de dormir quelques heures tandis que l’autre reste sur ses gardes. De gros groupes de nuages passent, certains nous arrosant de pluie, d’autres faisant tourner et forcir le vent subitement. Ce sont de longues longues heures, debout dans la cabine, sans quitter nos cirés humides au cas où il faille ressortir manœuvrer, le regard scrutant le ciel, puis la vitesse et le cap sur le GPS – sans cesse. La fatigue empêche de prendre du recul, de penser à autre chose qu’à l’instant. Les pensées tournent en rond. Là-bas, dans quelques heures, il y a un port, la sécurité, le repos, enfin !
Groumpf… même les aventures de Hornblower sur le MP3 ne nous remontent pas le moral…
28 mai: vent WSW 2 -5, mer agitée– 52 M
Midi solaire : soleil à 17°49’ de nous. Eau : 18,7°. Air: 21,3°
Mais après 10 minutes sous le soleil, les sourires sont de retour !
Le vent mollit encore et nous sommes toujours au portant. Malgré l’humidité de la nuit, on tangonne le génois sans attendre la fin du quart : il faut avancer, on a une dépression à doubler !! La mer est encore assez formée, et on se traîne pendant les dernières heures sombres, poussées par un vent rendu très variable par le passage incessant des grains.
Et puis le jour se lève, et puis le ciel s’éclaircit. Le miracle du soleil :o) Plus de nuages, plus de grains, de moins en moins de houle, le vent se rétablit à 4 bft d’WSW. La vie est belle de nouveau, c’est un tel plaisir de barrer, de glisser sur les vagues, de filer sous le ciel bleu ! Les 30 dernières heures sont oubliées en 10 minutes !
Là, regarde, sur tribord… une sterne ! La terre, la terre approche ! Ces oiseaux reviennent à terre pour dormir, l’île ne doit plus être loin… Et là, cette tache juste sous la surface : une tortue ! Et encore une autre, avec de petits piquants sur la carapace. Saltimbanque fonce entouré par les puffins…
Le jour avance et les milles défilent, plus que 25 milles indique le GPS. Et pourtant toujours pas de terre. On se rappelle de Porto Santo, aperçue à plus de 40 milles. Est-ce que le GPS peut se tromper ? Instant de doute : on a fait confiance à un seul petit appareil pour nous guider… et s’il était déréglé ? Les Açores sont une infime poussière au milieu de l’océan, comment ces portugais, ces marins des temps jadis qui naviguaient sans carte et sans satellite ont-ils pu les trouver ? Et encore mieux, les retrouver ?
Là-bas, au loin, un groupe de nuages. Une sorte de brume sur l’horizon. A peine visible, le profil plus foncé d’une côte qui plonge dans la mer. Terre !!!! TERRE !!!! On saute dans le cockpit, on danse de joie, un sourire débile scotché sur nos visages. Terre !
Les dernières heures du jour sont parmi les plus heureuses du voyage : on barre, filant vent arrière sous le ciel bleu, admirant tous les puffins autour et la terre qui grossit, grossit…
Florès, improbable terre paumée au milieu de l’océan…
Le soleil se couche, on garde le tangon car le vent faiblit. Le puissant phare de Lajes sur la côte sud est bien visible, il nous guide jusqu’à ce qu’on aperçoive le feu rouge scintillant du bout de la jetée. On affale le tangon, on empanne, sous génois seul au largue on fait route vers le port. On approche, il est temps de démarrer Nestor. Contact, le démarreur tourne, tourne, mais rien. Ah non Nestor, tu nous fais pas ça maintenant, démarre !!!!! Gaz à fond, le démarreur tourne, tourne, puis un « pout » furtif, puis le démarreur tourne tourne (et la batterie se vide, se vide…) et enfin « pout pout pout pout », ça y est la machine est lancée… c’était juste mais ça marche ! On crie de joie et de soulagement dans le cockpit, on peut à présent rentrer dans l’enceinte du port.
Le doux chant des cagarros !
La nuit est assez claire grâce à un petit quartier de lune pour distinguer les formes de la digue et des falaises, et même les gros rochers qui affleurent dans le chenal du port : il faut bien rester près du brise-lames puis de la digue de la marina – mais pas trop près non plus car des rochers détachés par les tempêtes bordent ces digues. Concentrées on passe les feux verts et rouges d’entrée, quand on entend soudain les cris surréalistes des « cagarros », un oiseau local dont le chant ressemble à un canard volubile qui aurait abusé de l’hélium. On éclate de rire malgré la tension du moment !
La marina est petite et toute neuve, destinée aux bateaux de 10m et moins en principe. On entre, prudemment, il n’y a pas beaucoup d’espace pour manœuvrer. Quelques places sont disponibles – après un moment d’hésitation on choisit nez au vent, tout au début du ponton. Le voisin et quelques autres marins sont encore debout malgré l’heure tardive et attrapent nos aussières…
Ca y est le bateau est à l’arrêt, en sécurité, avec presque 24h d’avance sur la tempête. On décompresse d’un coup, de la jubilation dans la voix, en échangeant un regard avec les autres navigateurs qui eux aussi viennent d’atterrir. On a réussi !!!!!!
Notre bannière à l’arrivée, la BD de la transat !
Annexe technique
Le but du jeu est de viser entre la dépression et l'anticyclone...
Cartes du NOAA par Iridium :
Merci à Phileas pour cette astuce ! Avec un téléphone satellite on peut recevoir par email les cartes de situation générale du NOAA. Il suffit d’envoyer une requête à ftpmail@ftpmail.nws.noaa.gov avec un titre au choix et dans le corps du texte :
Open
Cd fax
Get XXXXXXXX.TIF
Get YYYYYYY.TIF
Quit
Avec XXXX et YYYY le nom des cartes désirées. Par exemple l’analyse du jour est PYAA02.TIF (Atl Ouest) et PYAA01.TIF (Atl Est), à 24h : PPAE00.TIF, à 48h : QDTM85.TIF, à 96h : PWAM99.TIF. Chaque carte fait environ 27kb.
Plus de détails sur le site du NOAA.
La température de l’eau :
Lors de la transat nous avons été impressionnées par les variations quotidiennes de température : chaque jour à midi nous avons relevé la position du soleil par rapport au zénith, et la température de l’eau et du bateau. Cette approche scientifique précise nous permet de conclure que plus on va vers le Nord plus il fait froid !
Christian - 12/06/2012 12:16:51 Plus que jamais je revendique hautement, vivement et affectueusement la vision de l'album photos COMPLET de vos aventures !
A quand votre entrée dans la profession de photographes ? Avez-vous prévu une exposition temporaire au musée de la photo à Bièvres ? A moins que vous ne visiez directement celui du Palais du Luxembourg à Paris ? Michel Claudie - 11/06/2012 18:05:28 Bravo pour cette traversée . Remarquable votre lecture de la météo et de son utilisation . Saltimbanque est un sacré bateau et l équipage formidable. Profitez bien. la mamou - 09/06/2012 11:52:14 extra ! le film de la transat retour !!
avec ma chanson de marin préféree en plus !!!
GENIAL !!! Mum - 08/06/2012 20:27:08 plus que bravo et grande fierté pour vous deux! MERçi infiniment ,dit l'espadon! SuDad - 07/06/2012 19:01:31 Alors... ces séances de galipettes de Saltimbanque, ça va vous hanter longtemps. Vous, au moins, vous pourrez comprendre vraiment les récits des grands navigateurs. Quelle expérience! Et quel talent, pour nous la faire partager. On dirait que vous aviez déjà prévu tout le scénario et la mise ne scène, longtemps à l'avance. Pas de temps mort. En apparence. Parce que la narration nous maintient en haleine. Nous avons, indirectement, reçu notre baptême de traversée. Merci, à nouveau, pour cet épisode mouvementé. Un peu de tourisme et de repos, ça vous tente ? Grosses bises, du vieux continent. Pet\'chi - 06/06/2012 13:25:06 Ouais !!! Super récit !!! Et que de belles photos !!! Très impressionnée par l'espadon ;) gros bisous les filles !!! Et continuez à nous envoyer de si belles images. :) Sylvia - 05/06/2012 21:35:40 Gefeliciteerd girls met deze uitstekende prestatie!!! Nu weet ik ook inmiddels alles over low and high pressures :-) Hélène Lebrat - 05/06/2012 16:34:54 Merci pour la superbe narration... On a frissonné dans les moments de suspense...contente de vous savoir en pleine forme! Hervé - 04/06/2012 23:10:21 Very well done, les filles AUMADATROI - 04/06/2012 21:00:44 Un grand bravo à l'équipage, à Saltimbanque ! You did it !!!!! la mamou - 04/06/2012 15:53:33 hé bé !....
encore une lecture qui vous remue bien les entrailles ....
j'en ai tout le tournis :-)
aller , je cours à la plage: la mer est belle ici aussi !!
bravo bravo bravo